Apiculture Darwinienne

L’ÉVOLUTION AU CŒUR DE L’APICULTURE

Professeur Thomas Seeley, Université Cornell , USA
Traduction française : Jane Bulleyment
Tom Seeley - Apiculture Darwinienne

Photo © Sierra Salin

La sélection naturelle, au service de l’évolution, est un concept fondamental pour comprendre la biologie de notre abeille à miel, mais n’a que rarement servi pour guider l’apiculteur. C’est bien dommage, car cette approche est susceptible d’apporter des solutions aux problèmes rencontrés ; il se peut que la santé de nos abeilles soit améliorée si l’on suit la pensée du biologiste Charles Darwin. 

Regarder du côté de l’évolution pourrait bien nous apporter une meilleure compréhension des maladies de nos abeilles, améliorer notre pratique et augmenter le plaisir que nous éprouvons auprès d’elles. Un premier pas vers une démarche darwinienne serait de reconnaître que l’évolution des abeilles est une histoire étonnante, clairement documentée par les fossiles. L’un des plus beaux de tous les fossiles d’insectes est celui d’une ouvrière de l’espèce Apis henshawi, découvert en Allemagne, dans des marnes vieilles de 30 millions d’années (Fig. 1).  Il existe également des fossiles superbes de notre abeille moderne, Apis mellifera, dans un matériau ressemblant à de l’ambre, trouvé en Afrique de l’Est, et datant d’il y a 1,6 millions d’années (Engel, 1998).

Nous voyons que des colonies d’abeilles – le résultat de millions d’années d’évolution – ont été façonnées par l’opération inlassable de la sélection naturelle, un processus qui optimise les capacités des organismes vivants à transmettre leurs gènes de génération en génération. Chaque colonie est génétiquement différente des autres, et ainsi différente au regard de tous les traits ayant une base génétique, comprenant la défense de la colonie, la vigueur du butinage et la résistance aux maladies. Les colonies les mieux dotées de gènes concernant la reproduction et la survie de la colonie, dans une région donnée, réussiront mieux la passation de gènes aux générations futures. Ainsi, au fil du temps, les colonies de chaque localité s’y adaptent en finesse.

Le processus d’adaptation par la sélection naturelle parmi les ouvrières et ce qui a produit toutes les différences de couleur, morphologie et de comportement distinguant les quelque 27 sous-espèces d’Apis mellifera (A.m. lingustica, et A.m. scutellata etc.) qui vivent dans leur zone d’origine entre l’Europe, l’Asie de l’ouest et l’Afrique (Ruttner, 1988). Les colonies de chaque sous-espèce, et chacune dans sa région, sont parfaitement adaptées au climat, aux saisons, à la flore, aux prédateurs et aux maladies locaux.

De surcroît, à l’intérieur de l’aire géographique de chaque sous-espèce, la sélection naturelle aura produit des écotypes, qui seront autant de populations finement ajustées à une localité particulière. Par exemple, un écotype de la sous-espèce Apis mellifera mellifera a évolué dans la région des Landes, où son rythme biologique s’est ajusté à une floraison massive du bruyère (Calluna vulgaris L.) en août et septembre. Les colonies endémiques montrent un deuxième pic d’élevage de couvaison en août, et peuvent exploiter cette floraison. Des expériences démontrent que ce cycle inédit de couvaison annuelle dans cette région est une adaptation génétiquement transmise (Louveaux 1973, Strange et al. 2007).

Comparés aux abeilles, les humains modernes (Homo sapiens) sont une innovation récente en termes de leur évolution. Émergés il y a environ 150 millions d’années dans la savane africaine, là où vivaient les abeilles depuis belle lurette, les premiers êtres humains étaient des chasseurs-cueilleurs, qui cherchaient le miel, la plus délicieuse des nourritures naturelles. Nous pouvons encore constater cet engouement pour le miel chez une peuplade du nord de la Tanzanie, avec une façon de vivre similaire, les Hazda, dont les hommes passent entre 4 et 5 heures par jour à poursuivre les abeilles afin de récolter leur mets préféré (Marlowe et al. 2014).

Fig. 1. Photo d’un fossile d’une abeille ouvrière (Apis henshawi) vieux de 30 millions d’années. L’abeille mesure 1,4 cm, une taille proche de celle des ouvrières d’Apis mellifera.

Abeille Fossile

Photo © Laurie Burnham

La chasse aux abeilles a commencé à céder la place à l’apiculture il y a 10 000 ans, alors que l’agriculture faisait son apparition au cœur de plusieurs cultures, avec la domestication des animaux et la culture des plantes. Cette transformation de l’histoire de humanité s’est opérée dans deux régions bien connues, les plaines alluviales de la Mésopotamie et le delta du Nil. Aux deux endroits, les archéologues ont pu documenter l’apiculture ancienne, avec l’utilisation de ruches dans ces régions où Apis mellifera a commencé son histoire. Ces localités offraient des paysages ouverts, où des essaims à la recherche de nouveaux sites de nidification auraient eu du mal à trouver des cavités naturelles, et auraient occupé plus facilement les jarres en argile et cloches en paille proposées par ces premiers agriculteurs.

Au temple du soleil du roi Ne-us-er-re à Abu Ghorab, il y a un bas-relief en pierre où figure un apiculteur agenouillé à côté d’une pile de neuf ruches cylindriques (Fig. 2). Cette illustration est la première indication d’apiculture, et marque le commencement d’une recherche pour trouver la meilleure pratique apicole. Elle inaugure le début de la gestion des colonies d’abeilles dans des conditions bien différentes de celles de l’environnement où elles avaient évolué, et auquel elles s’étaient adaptées. Remarquons, par exemple, comme les colonies dépeintes vivent rapprochées, bien différent de leur espacement sur un territoire naturel.

Ruche Egypte

Fig 2. Première image connue montrant la pratique de l’apiculture et la préparation du miel au temple Ne-user-re à Abu Ghorab, en Égypte, dédié au soleil et construit environ 4000 ans avant notre ère. Récolte de miel d’un empilement de ruches cylindriques à gauche, transfert du miel au milieu et stockage à droite.

Les colonies sauvages versus les colonies domestiqués

Actuellement, il y a des différences considérables entre l’environnement d’origine, celui qui façonna la biologie de l’abeille sauvage tout au long de son évolution, et les caractéristiques de gestion d’une colonie aujourd’hui. Comme tous les exploitants, ce sont nous, les apiculteurs, qui avons modifié l’environnement dans lequel vivent nos « animaux », et ce pour augmenter leur productivité. Malheureusement, les changements apportés aux conditions de vie des animaux d’élevage ont tendance à les rendre moins résistants vis à vis des pathogènes et des parasites. Au Tableau 1, je dresse ici une liste (non exhaustive) de 20 facteurs différents entre les colonies sauvages et les colonies ayant été soumises à la gestion apicole moderne.

Différence 1 – la localité : les colonies domestiques ne sont pas génétiquement adaptées à leur localité. Chaque sous-espèce d’Apis mellifera a pu s’adapter au climat et à la flore de sa zone géographique, et chaque écotype à l’intérieur de la sous-espèce s’est adapté à un micro-environnement particulier. L’insertion des reines fécondées et le déplacement des colonies sur de grandes distances, au gré des migrations, sont deux facteurs qui obligent les colonies à subir des conditions de vie auxquelles elles ne sont pas bien adaptées. Une expérience récente, menée en Europe, démontra que des colonies pourvues de reines d’origine locale vivaient plus longtemps que des colonies avec des reines non locales (Büchler et al. 2014).

Différence 2 – la promiscuité : le regroupement des colonies facilite l’apiculture mais apporte un changement fondamental à l’écologie des abeilles. Des colonies trop entassées sont mises en plus grande concurrence pour le butinage, sont plus susceptibles de se faire piller et ont plus de problèmes de reproduction (par exemple, le mélange des essaims, ou la reine qui  « se trompe de porte » après le vol nuptial). Il se peut que le plus grand danger de l’entassement soit d’augmenter la transmission de pathogènes et de parasites entre les colonies (Seeley & Smith, 2015). La facilitation de la transmission de maladies augmente leur incidence et maintient en vie les souches résistantes parmi les agents pathogènes.

Différence 3 – la grandeur du nid : une ruche plus grande que ne le serait un site naturel altère profondément l’écologie de l’abeille. Des colonies habitant dans une grande ruche auront la place d’engranger d’énormes stocks de miel mais, sans une même limitation de l’espace, elles vont moins essaimer. Freiner, ainsi, la vitesse de reproduction diminue d’autant la sélection naturelle à l’œuvre pour produire des colonies plus fortes et plus saines. De surcroît, des colonies hébergées dans de grandes ruches sont plus affectées par des parasites du couvain comme le Varroa (Loftus et al. 2015).

Différence 4 – la protection par le propolis : vivre sans une couche antimicrobienne de propolis augmente le coût de la défense contre les pathogènes. Par exemple, les ouvrières dans des colonies sans enveloppe protectrice de propolis paient plus cher le travail de leur système immunitaire (par exemple, la synthèse de peptides antimicrobiennes) que celles bénéficiant d’une telle protection.

Différence 5 – la nature des parois : le coût énergétique de la thermorégulation est affecté par l’épaisseur des parois, surtout sous un climat froid. La déperdition de chaleur chez une colonie sauvage, logeant typiquement dans une cavité d’arbre, est de 4 à 7 fois moins que pour une colonie domestique hébergée dans une ruche en bois standard, avec des parois plus minces (Mitchell, 2016).

Différence 6 – la configuration de l’entrée : une petite entrée en hauteur dans un nid naturel protège mieux la colonie du pillage et de la prédation. La  grande entrée d’une ruche standard est plus difficile à garder. Un trou trop près du sol est non seulement plus accessible à certains prédateurs, mais peut se trouver encombré de neige, empêchant ainsi le vol de propreté et diminuant la survie pendant l’hiver.

Différence 7 – les alvéoles pour l’élevage des mâles : l’inhibition de la construction de ces alvéoles favorise la production de miel (Seeley, 2002), et freine également la propagation du Varroa (Martin, 1998). Le désavantage est la diminution de la passation des gènes (par les mâles) des colonies les plus saines, ce qui contrarie la sélection naturelle.

Différence 8 – l’organisation interne de la colonie : certaines pratiques apicoles perturbatrices de cette organisation empêcheraient son fonctionnement optimal.  Dans la nature, les colonies organisent leur nid avec précision, et en trois dimensions, avec le couvain logé de façon compacte, entouré des rayons de pollen et surmonté par les rayons de miel (Montraven et al. 2013). Les pratiques d’apiculture modifiant cette organisation, en insérant des rayons vides afin de décongestionner le couvain, est une démarche qui perturberait la thermorégulation, et peut-être d’autres aspects de son fonctionnement, voire la ponte de la reine et le stockage de pollen par les butineuses.

Différence 9 : les déplacements d’une localité à une autre : une colonie relocalisée (apiculture migratoire – transhumance) oblige ses butineuses à apprendre de nouveau les repères autour de la ruche afin de cartographier les nouvelles sources de nectar, de pollen et de l’eau. Une étude sur une colonie déplacée a constaté un moindre gain de poids par rapport aux colonies habituées à cette même localité (Moeller, 1975).

Différence 10 – les visites d’inspection : sans savoir à quel point des colonies sauvages sont dérangées (par d’éventuels prédateurs), elles le sont certainement moins que celles logées dans une ruche, où l’ouverture, l’enfumage et la manipulation font partie des pratiques habituelles. Lors d’une expérience pendant la miellée, Taber (1963) trouva entre 20 et 30% de moins de gain de poids (variable selon le niveau de dérangement) chez des colonies soumises à l’inspection par rapport aux colonies de contrôle, le jour de l’inspection.

Différence 11 – les nouvelles maladies : traditionnellement, les abeilles n’avaient affaire qu’aux pathogènes et aux parasites avec lesquels elles avaient « bataillé » tout au long de leur histoire commune. Elles avaient ainsi évolué en se prémunissant contre les agents des maladies. Nous, les humains, avons tout changé en déclenchant plusieurs invasions : de l’ectoparasite Varroa (de l’Asie de l’est) ; du petit scarabée Aethina tumida (de l’Afrique subsaharienne) ; du champignon Ascosphaera apis et l’acarien Acarapis woodii (de l’Europe). L’invasion du Varroa a causé déjà la mort de millions de colonies d’abeilles (Martin, 2012).

Différence 12 – la diversité des sources de nourriture : Certaines colonies domestiques sont placées dans des écosytèmes agricoles (des vergers d’arbres fruitiers, de vastes étendues de colza etc.) où elles ont accès à une diversité réduite de pollens, avec une moindre valeur nutritive. Les effets de la diversité des pollens furent étudiés en comparant des nourricières au régime soit riche, soit pauvre, en pollens. Celles nourries de pollens multifloraux vécurent plus longtemps que celles nourris de pollens monofloraux (Di Pasquale et al. 2013).

Différence 13 – le régime, naturel ou artificiel : certains apiculteurs donnent des compléments alimentaires de protéines (succédanées de pollen) à leurs colonies, pour stimuler leur croissance avant que les pollens naturels soient disponibles, afin de produire une plus grande récolte de miel. Les meilleurs compléments/substituts effectivement stimulent l’élevage du couvain, bien que moins efficacement que les pollens naturels  mais avec le risque de produire des abeilles de qualité inférieure (Scofield and Mattila, 2015).

Différence 14 – l’exposition à des produits toxiques : La liste des plus importants nouveaux produits toxiques comprend des insecticides et des fongicides, substances par rapport auxquelles les abeilles n’ont pas eu le temps d’évoluer pour produire des mécanismes détoxifiants. Actuellement, les abeilles sont exposées de plus en plus à ces produits, avec le risque supplémentaire de créer des synergies particulièrement nocives (Mullin et al. 2010).

Différence 15 – le traitement contre les maladies : lorsque nous traitons nos colonies contre des maladies, nous interférons avec la « course aux armes » entre l’abeille et ses ennemis. Plus précisément, nous affaiblissons la résistance due à la sélection naturelle. Il n’est pas surprenant que la plupart des colonies domestiques aux Etats-Unis et en Europe offrent peu de résistance au Varroa, ni que des populations sauvages des deux continents aient développé une forte résistance à ces acariens (Locke, et al 2016). Il se peut que les traitements aux acaricides et aux antibiotiques interfèrent avec le microbiote  de la colonie.

Différence 16 – la production du miel : les colonies gérées pour la production de miel sont logées dans de grandes ruches, afin d’être plus productives. Cependant, elles sont moins susceptibles de se reproduire (l’essaimage), ce qui réduit la sélection naturelle vers une colonie plus saine. De surcroît, la grande quantité de couvain dans une grande ruche la rend plus vulnérable à l’essor des infestations de Varroa et d’autres agents pathogènes qui s’y reproduisent (Loftus et al. 2015).

Différence 17 –  le prélèvement des rayons : enlever la cire d’une colonie lui impose un grand coût énergétique. La transformation du sucre en cire est, au mieux, 10 :1 (data de Weiss 1965, analysés par Hepburn, 1986), ce qui signifie qu’un kilo de cire coûte dix kilos de miel, qui n’est plus disponible pour d’autres activités, comme la survie pendant l’hiver. La façon la plus dispendieuse de récolter le miel est l’enlèvement des rayons entiers de miel (rayons coupés, rayons broyés). L’extraction du miel, en n’enlevant que la cire des opercules, représente un moindre coût énergétique.

Différence 18 – le choix des larves : lorsque nous greffons des larves d’un jour dans des « berceaux de reine » artificiels, nous sommes en train d’empêcher les abeilles de faire leur choix de larves destinées à devenir des reines. Une étude trouva que, lors d’une situation d’urgence, les abeilles ne choisissent pas les larves de façon aléatoire, mais montrent certaines préférences de patrilinéalité (Moritz et al. 2005).

Différence 19 – la compétition entre les mâles : lors d’un programme de reproduction par insémination artificielle, les mâles fournissant le sperme n’ont pas eu à prouver leur vigueur en se mesurant à d’autres pendant le vol nuptial. La sélection sexuelle en faveur des sujets les plus forts et les plus sains s’en trouve diminuée.

Différence 20 – le retrait de mâles comme protection contre des acariens : la pratique d’enlever du couvain mâle, afin de contrôler la contamination par le Varroa, opère un effet castrateur en déréglant la sélection naturelle des colonies assez fortes pour faire un grand investissement au niveau de la production de mâles.

Quelques suggestions pour favoriser une apiculture darwinienne

L’apiculture vue sous un angle darwinien se révèle bien différente ; nous constatons que les abeilles ont vécu à l’écart des humains pendant des millions d’années et que, pendant ce temps, la sélection naturelle les a façonnée pour une reproduction et une survie optimales, quelque soit leur environnement en Europe, en Afrique ou en Asie. Depuis que les humains s’en mêlent, nous n’avons cessé de perturber l’interaction subtile entre les colonies et leur environnement immédiat. Nous l’avons fait de deux manières.

D’une part, nous avons déplacé des colonies dans des zones géographiques auxquelles elles ne sont pas adaptées. D’autre part, nous avons géré nos colonies de manière à perturber leur mode de vie, tout en nous fournissant en denrées précieuses : miel, cire, propolis, pollen, gelée royale, sans oublier leurs services de pollinisation.

Que pouvons-nous faire, en tant qu’apiculteurs, pour aider les colonies d’abeilles à mieux s’adapter à leur environnement, et à vivre ainsi en meilleure santé avec moins de dérangement stressant ? La réponse dépendra de combien de colonies vous avez à votre disposition, et de ce à quoi vous vous attendez de vos abeilles. Un apiculteur avec peu de colonies et peu d’exigences de récolte se trouve dans une situation bien différente de celui qui se trouve gérant de centaines ou de milliers de ruches, et qui gagne sa vie avec sa production.

Pour ceux qui s’y intéressent, je propose dix suggestions pour une apiculture conviviale. Certaines sont d’une application générale, certaines ne sont praticables que par un apiculteur amateur.

  1. Travaillez avec des abeilles adaptées à votre localité. Par exemple, si vous vivez en Nouvelle Angleterre,      achetez des reines en provenance du nord plutôt que du sud. Ou bien, si vous vivez là où il y a peu d’apiculteurs, utilisez des ruchettes-pièges dans l’espoir d’attraper un essaim sauvage local. Ces colonies construiront un ensemble de nouveaux rayons, vous permettant de vous débarrasser des vieux pains susceptibles d’être contaminés par des résidus de pesticides et des spores/cellules pathogènes. La clé est d’acquérir une colonie adaptée au climat local.
  2. Espacez vos ruches autant que possible. Là où j’habite, dans l’État de New York, il y a de vastes forêts pleines de colonies sauvages, à distance d’environ un (petit) kilomètre les unes des autres. C’est très bien pour les abeilles mais plus difficile pour l’apiculteur. Néanmoins, un espacement de 30 à 50 mètres dans votre cheptel contribuerait grandement à réduire les contaminations et, par ce fait, la dissémination des maladies.
  3. Hébergez vos abeilles dans de petites ruches. Envisagez d’utiliser une seule ruche à structure profonde pour le couvain et une petite zone pour le miel. Vous ne récolterez pas autant de miel, mais vous aurez moins de maladies et de nuisibles – surtout le Varroa.
  4. Grattez l’intérieur des parois des ruches afin de les rendre rugueuses, ou les construire en bois non dégrossi. Vos colonies seront encouragées à enduire les surfaces intérieures de propolis, créant ainsi une enveloppe antimicrobienne autour du nid.
  5. Utilisez des ruches dont les parois sont bien isolantes. Vous pouvez utiliser des planches épaisses de bois ou de mousse polyuréthane. Il y a un besoin urgent d’études pour évaluer et se procurer la meilleure forme d’isolation selon le climat.
  6. Placez les ruches loin du sol. Ce n’est pas toujours facile, mais si vous disposez d’une estrade, ce serait faisable. Il y a également besoin de recherche sur la meilleure hauteur de l’entrée selon le climat.
  7. Faites en sorte qu’entre 10 et 20% des rayons de couvain soient destinés à l’élevage des mâles. Permettre à vos colonies d’élever des mâles peut améliorer le patrimoine génétique de votre région. Les mâles coûtent cher à la colonie, et il n’y a que des colonies saines et fortes qui peuvent se permettre de produire des cohortes de mâles. Malheureusement, ce couvain est celui qui favorise la croissance rapide des populations de Varroa ; laisser d’amples rayons de couvain mâle nécessite un contrôle sévère (voir dessous).
  8. Minimisez la perturbation de l’organisation du nid. Il est important de replacer chaque cadre dans sa position et son orientation initiales. Évitez l’insertion de cadres vides dans le couvain dans le but d’inhiber l’essaimage.
  9. Évitez le déplacement des ruches. Les colonies doivent être déplacées aussi peu que possible. En cas de nécessité, il serait mieux de le faire à un moment où il y a peu de fleurs à butiner.
  10. Évitez les traitements anti-varroa. AVERTISSEMENT. Cette suggestion ne peut se pratiquer que si vous le faites selon un programme radical de surveillance. Si vous décidez d’éviter ces traitements, sans cette vigilance, vous créerez une situation où la sélection naturelle va opérer en faveur des acariens virulents plutôt que des abeilles résistantes.
    Afin d’aider la sélection naturelle à favoriser les abeilles résistantes, vous devez vérifier le taux d’acariens dans vos colonies et supprimer les populations montrant un essor du parasite, avant qu’elles ne s’effondrent. En les supprimant préventivement, vous ferez deux choses utiles :

    1.  vous aurez éliminé des colonies non résistantes au Varroa
    2. vous empêcherez l’effet l’explosion de la contamination vers vos autres colonies. Si vous ne faites pas la suppression préventive, vous risquerez de voir même vos colonies les plus résistantes succomber et mourir, privant votre cheptel de toute souche résistante.  Vous risquerez également de répandre les acariens chez vos voisins apiculteurs, et même chez d’éventuelles colonies sauvages. Si vous ne souhaitez pas supprimer vos colonies affaiblies, vous devez les traiter et remplacer la reine avec une reine de souche résistante.

Deux espoirs

J’espère que vous avez trouvé utile de réfléchir à l’apiculture du point de vue de l’évolution. Si vous souhaitez adopter une apiculture qui considère une colonie d’abeilles moins comme une usine à miel que comme une façon de soigner les abeilles, je vous encourage à vous pencher sur ce que j’appelle l’apiculture darwinienne. D’autres appellations sont : l’apiculture naturelle (Naturel Beekeeping), l’apiculture centrée sur les abeilles (Apicentric Beekeeping) ou l’apiculture conviviale (Bee-friendly Beekeeping) (Phipps, 2016). Quelque soit le nom, ceux qui la pratiquent considèrent une colonie d’abeilles comme un ensemble complexe d’adaptations, façonné par la sélection naturelle afin d’optimiser sa survie et sa reproduction en fonction de la compétition avec d’autres colonies et d’autres organismes (prédateur, parasites et pathogènes).

C’est une démarche pour cultiver la santé de la colonie aussi naturellement que possible, afin de bénéficier de leur « boîte à outils » de survie, acquise pendant ces dernières 30 millions d’années. Il reste beaucoup à apprendre sur ces outils : quelle est l’avantage d’une meilleure isolation du nid ? les colonies, isolent-elles leur nid avec de la propolis en automne afin de se pourvoir d’une source interne d’eau (la condensation) pendant l’hiver ? quel est l’avantage d’une entrée en hauteur. Les méthodes de l’apiculture sont toujours en évolution mais, heureusement, la recherche apicole actuelle commence à prendre en compte la perspective darwinienne (Neumann et Blacquière, 2016).

J’espère que vous serez tentés d’entreprendre la démarche darwinienne ; il se peut que vous la trouviez plus agréable qu’une pratique conventionnelle, surtout si vous travaillez à petite échelle. Tout est fait pour favoriser la vie de l’abeille, Apis mellifera, en harmonie avec sa longue histoire naturelle.

Étant une personne qui a consacré sa carrière scientifique à enquêter sur l’organisation merveilleuse des colonies d’abeilles, je suis attristé de constater combien – et de plus en plus – les méthodes conventionnelles perturbent et fragilisent la vie des colonies.

L’apiculture darwinienne, dont les pratiques sont respectueuses des abeilles, me semble une bonne manière de sauvegarder ces petites créatures, nos plus grands amis parmi les insectes.

La comparaison entre l’environnement des colonies d’abeilles sauvages et celui de l’abeille domestique.

Colonies d’abeilles sauvages Colonies d’abeilles domestiques
1.Colonies adaptées génétiquement à l’environnement Colonies non adaptées génétiquement
2.Colonies bien réparties dans le paysage Colonies entassées dans le rucher
3.Colonies dans une petite cavité (40 litres) Colonies dans des ruches (80 litres)
4.Parois enduites de propolis Parois sans propolis
5. Parois épaisses (+ 10 cm) Parois peu épaisses (-2 cm)
6.Entrée en hauteur et petite (25 cm2) Entrée en bas et large (80 cm2)
7.Nid contient 10-25% de couvain mâle Nid  contient -5% de couvain mâle
8.Stabilité de l’organisation du nid Changements fréquents dans le nid
9.Peu de déplacements Déplacements fréquents – transhumance
10.Colonies rarement dérangées Colonies souvent dérangées – visitées
11.Colonies confrontées à des maladies familières Colonies face aux maladies nouvelles
12.Colonies avec des pollens variés Colonies avec des pollens homogènes
13.Colonies avec une alimentation naturelle Colonies avec suppléments artificiels
14.Colonies non exposés aux nouvelles toxines Exposition aux nouvelles toxines
15.Pas de traitements contre des maladies Traitements contre des maladies
16.Pas de prélèvement de pollen ou de miel Prélèvement de pollen et de miel
17.Pas de prélèvement de cire Prélèvement de cire pendant la récolte
18.Choix de larves (reines) par les abeilles Choix de reines par l’apiculteur
19.Forte compétition entre les mâles Parfois sélection des mâles
20.Couvain mâles laissé en place (anti-Varroa) Couvain mâle parfois enlevé, congelé

Ecrit pour American Bee Journal, March 2017 et traduit par Jane Bulleyment.

 

Un grand merci à Thomas Seeley pour le travail effectué auprès des abeilles qui nous ouvre les portes à une compréhension, encore partielle, de leur univers.

A lire absolument : « La démocratie chez les abeilles », ouvrage qui nous éclaire sur les méthodes que la nature à mis en œuvre afin de permettre la propagation des colonies à travers l’essaimage… passionnant !